Mobidys a bouclé le 8 mars dernier un tour de table de 2 millions d’euros auprès de Maif Investissement Social et Solidaire, France Active et la Caisse des Dépôts. Pour Marion Berthaut, cofondatrice de Mobidys, et son associé Jérome Terrien, l’objectif est maintenant de financer plusieurs projets de R&D et de se lancer à l’international.
Mobidys est une entreprise numérique qui propose des outils pour les personnes atteintes de troubles cognitifs et dys. Créée en décembre 2015, elle a développé un format de fichier texte, le format frog, qui automatise la mise en place d’enrichissements permettant aux personnes atteintes de dyslexie, par exemple, d’accéder à la lecture.
Pour la cofondatrice Marion Berthaut, après avoir réussi une levée de fonds conséquente, la phase d’accélération commence à peine.
Trois ans après avoir réuni 200.000 euros, Mobidys
franchit une nouvelle étape. « Cette nouvelle levée n’avait rien à voir avec la première », constate l’entrepreneuse. Forte de ces deux expériences, elle nous livre ses 5 conseils essentiels pour réussir un tour de table.
. Prendre des contacts avant même d’avoir besoin d’argent
« C’est quand tout va bien qu’il faut entamer une levée de fonds, pas quand on en a besoin ! insiste Marion Berthaut. Déjà, parce qu’avoir un trou de trésorerie, c’est se tirer une balle dans le pied. Et puis parce qu’il ne faut surtout pas se presser. » Bouclée le 8 mars 2021, les démarches pour cette levée de fonds ont débuté début 2019, soit 2 ans de recherches et de négociations.
« Pour ce tour de table, beaucoup de fonds m’ont claqué la porte au nez. Et pour certains, je n’ai pas trouvé la porte à laquelle sonner ! On a approché 90 financeurs pour qu’au final seuls trois nous suivent. C’était beaucoup plus violent qu’à la première levée », avertit l’entrepreneuse. « Si le besoin avait été urgent, peut-être que nous n’aurions trouvé personne prêt à nous suivre à temps, ou alors avec des conditions peu favorables. »
. Se faire accompagner, soutenir et conseiller
« Tous ces refus sont très durs à encaisser. Je ne savais pas que ça allait être un parcours du combattant à ce point. Et si je l’avais su, peut-être que je ne me serais jamais lancée ! Mais ce qui m’a fait tenir, c’est que je n’étais pas seule », se rappelle Marion Berthaut. La cofondatrice de Mobidys a notamment été accompagnée par le réseau des incubateurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) La Ruche du groupe SOS. « Il faut absolument se faire accompagner par ce genre de structure, qui reste focalisée sur votre levée de fonds. Car vous, vous ne pouvez pas y consacrer toute votre attention. Vous avez une entreprise à gérer ! »
Avoir des associés se révèle également très utile pour diviser les préoccupations. Marion Berthaut a surtout vu dans le soutien son coéquipier un filet de sauvetage. « Jérôme m’a aidé quand je ne savais même pas que j’en avais besoin. Il a réussi à me faire repartir quand je n’y croyais plus, que j’étais au fond du trou, et au contraire à me faire redescendre sur terre quand j’étais trop euphorique. Et ce genre d’ascenseurs émotionnels sont très courants dans un processus de levée de fonds. »
L’entrepreneuse s’est enfin entourée d’un avocat, en particulier pour la conseiller sur les éléments du
pacte d’actionnaires
. « Il faut être bien renseigné, penser à tout et réaliser un pacte adapté à sa société. Et pour cela, il ne faut pas seulement un avocat. Il faut un avocat en qui on a confiance, et ça c’est difficile à trouver ! » prévient Marion Berthaut.
. Trouver des investisseurs qui vous ressemblent
Avec Mobidys, Marion Berthaut se préoccupe des troubles et biais cognitifs. Or, ces biais existent aussi chez les financeurs et les entrepreneurs. Pour elle, il faut apprendre à connaître et reconnaître ces biais pour les contrer ou s’en servir. Ainsi, statistiquement, les entrepreneuses lèvent moins de fonds que les hommes. Car les comités de sélection sont majoritairement masculins. « Ce n’est pas nécessairement du machisme, c’est inconscient. On a tendance à préférer les gens qui nous ressemblent. On peut aussi appliquer cela à la couleur de peau, à l’origine sociale… une entrepreneuse femme trouvera donc plus facilement des fonds auprès de fonds ou de décideurs féminins », analyse la dirigeante qui a donc multiplié les contacts vers les structures dirigées par des femmes.
De même, les entreprises de l’ESS, « souvent soupçonnées de ne pas vouloir ou pouvoir générer de profit », trouveront une oreille plus attentive auprès des fonds ou branches de
fonds spécialisés dans l’impact investing
. « Vous pouvez mettre en valeur vos différences. Et même faire prendre conscience à vos interlocuteurs de leurs éventuels biais cognitifs pour les évacuer », assure Marion Berthaut.
. Construire son business plan à l’envers
Quand on s’adresse à un fonds d’investissement, il est important de lui montrer son ambition, sa vision, de dérouler l’histoire qu’on veut écrire. Le business plan vient ensuite, ça ne doit être que la traduction en chiffres de cette histoire. la cofondatrice de Mobidys recommande donc de construire son business plan à l’envers : partir de son objectif et ensuite seulement expliquer comment on souhaite y arriver, quelles sont les étapes intermédiaires. « Bien sûr, il faut en permanence mettre à jour son BP. Je viens de terminer la version 9.8 du mien, mais il faudrait déjà que je prépare la suivante ! Et surtout, il ne faut pas hésiter à prévenir les investisseurs potentiels des bonnes nouvelles sur le terrain : nouveau client, nouveau partenaire… car, eux, n’ont devant les yeux que des chiffres abstraits. »
. Soigner la rédaction du pacte d’actionnaires
Les clauses du pacte d’actionnaires régissent principalement la façon dont les participations sont cessibles ou valorisées. « On a tendance à se dire qu’on verra ça plus tard, mais il ne faut pas laisser passer ça à la trappe. C’est très important et, souvent, on ne s’en rend compte que quand il y a un problème. Je pense qu’il faut bien se renseigner dès le départ, et savoir quelles clauses on a besoin d’inscrire, ou, au contraire, ce qu’on ne peut accepter. », estime Marion Berthaut. S’entourer d’un avocat de confiance est, sur ce point particulier, un précieux atout.
Avec les actionnaires fondateurs, il vaut mieux en parler avant. Et avec les futurs actionnaires, au moment de l’instruction du dossier, quand toutes les questions juridiques arrivent. « Dès ce moment-là, il faut savoir ce qu’on veut. Mais, à mon sens, il ne faut pas penser cette négociation comme un rapport de force ou un jeu de go », précise l’entrepreneuse. Dans ces discussion, il faut être clair et transparent sur ce qui est négociable ou pas, et écouter les demandes de ses interlocuteurs.
Marion Berthaut voulait, par exemple, instaurer
un conseil d’orientation stratégique
dans lequel chaque membre avait une voix. « Un de mes investisseurs a demandé que si une proposition était mise sur la table et que deux membres la refusaient, elle soit annulée. J’étais contre ! J’ai pris ça pour un droit de véto. Mais ils m’ont ensuite expliqué que ça n’était pas pour empêcher l’entreprise d’avancer, mais plutôt pour forcer la discussion s’il y avait des désaccords. Cette discussion ouverte m’a permis de mieux comprendre cette demande, et finalement de la trouver plaisante. Si chacun avait caché ses cartes, on aurait probablement mis fin à la discussion » , conclut la cofondatrice de Mobidys.