A l’heure où le consommateur-citoyen scrute les actions des marques,
nombreuses sont celles qui viennent précisément de s’engager publiquement aux Etats-Unis
auprès du mouvement «Black Lives Matter» (Les vies des Noirs comptent) pour dénoncer le racisme. Faut-il y voir une tentation de récupération ou une volonté d’agir ?
Provoqué par un officier de police de Minneapolis, le décès de George Floyd n’en finit pas d’agiter la société américaine. Entre déclarations incendiaires et musclées de Donald Trump et manifestations qui essaiment dans de grandes villes et sur les réseaux sociaux,
la question de la discrimination raciale resurgit une fois encore avec acuité aux Etats-Unis
. A tel point que des dirigeants d’entreprises ont fait des déclarations de soutien pour condamner les violences policières dont la communauté noire est régulièrement victime. Des déclarations qui se sont traduites, pour d’aucuns, par des actions de communication.
Nike à la pointe de la contestation
C’est l’équipementier sportif Nike qui a donné d’emblée le ton de la mobilisation des marques. Dès vendredi 29 mai, la marque au swoosh viralise plusieurs petites vidéos avec des slogans affirmés comme « Ne prétendez pas qu’il n’y a pas un problème », « Ne tournez pas le dos au racisme » allant même jusqu’à pasticher pour la bonne cause son célèbre slogan « Just Do It » en « For Once, Don’t Do It » (NDLR : « Pour une fois, ne le faites pas »). La plupart des autres grands acteurs du secteur comme Reebok, Adidas, Converse, Under Armour, etc. s’est également associé aux protestations.
Plus étonnant, d’autres domaines d’activité ont aussi rebondi et pris fait et cause pour les manifestants qui condamnent la mort de George Floyd. C’est ainsi que Twitter a ajouté sur son profil le fameux hashtag #BlackLivesMatter, né à la suite de l’acquittement en 2013 d’un vigile ayant abattu Trayvon Martin, un jeune adolescent noir désarmé, en Floride. D’autres marques aussi diverses que déterminées ont apporté leur voix indignée comme Warner Media, Disney, Ben & Jerry’s,
nombreuses sont celles qui viennent précisément de s’engager publiquement aux Etats-Unis
et même la chaîne magasins Nordstrom. Sans oublier l’industrie musicale invitant tout à chacun à se mettre en pause mardi 2 juin à travers l’opération « Black Out Tuesday » et en postant un carré noir sur les réseaux sociaux en guise de réprobation.
A double tranchant
Cette coalition qui a largement empilé les «like» et les partages sur les plateformes sociales, n’a toutefois pas reçu que des félicitations ou des encouragements. Ainsi,
le collectif Sleeping Giants qui lutte contre le financement des discours de haine sur le Web
et dans les médias, a notamment taclé YouTube et Twitter en leur écrivant : « Votre hypocrisie ne connaît aucune limite » et en leur rappelant que leurs efforts restaient par ailleurs minimes lorsqu’il s’agit de faire la chasse aux discours racistes sur les réseaux respectifs.
Autre écho discordant : celui de la publicitaire britannique très engagée, Cindy Gallop.
Sur Twitter, elle interpelle
carrément Nike en leur faisant remarquer qu’ils ont eux-mêmes un problème en ne comptant aucun Noir dans leur comité exécutif. Et de déplorer in fine que le « storytelling » déployé ne s’accompagne pas plus d’un « story-doing ».
Où placer le curseur ?
C’est effectivement là que réside la limite de l’engagement des marques sur des faits sociétaux. Comment placer le bon curseur sans apparaître comme excessivement opportuniste et subir en retour une volée de bois vert ? S’il est indéniable que les consommateurs attendent des marques des actions plus concrètes en faveur des grands sujets de société et qu’elles prennent leur part dans le débat, il convient aussi de ne pas faire n’importe quoi, ni de s’improviser soudainement en marque activiste. Attention à la tentation de récupération à vil prix.
En 2017, Audi s’est par exemple fait pincer en flagrant délit d’incohérence. Durant la finale du Super Bowl, la marque aux anneaux avait diffusé un film pour promouvoir l’équité des genres en termes de carrière professionnelle et de salaires. Problème : Audi n’était pas vraiment raccord entre ses intentions déclaratives et ses pratiques au quotidien. Ce qui lui a valu une bordée de critiques mordantes sur YouTube, où
le film était posté avec quasiment 35.000 pouces baissés contre à peine 3.000 levés
et des commentaires très précis comme le fait qu’aucune femme ne siègeait au comité de direction du constructeur automobile ! On ne devient pas supporter d’une cause sans allier paroles et actes.
Un engagement s’inscrit dans le temps
En cela, Nike est une marque qui possède une véritable légitimité pour s’engager dans des causes aussi sensibles que la mort de George Floyd. L’équipementier a puisé sa légitimité à exprimer une voix engagée sur le problème de la ségrégation raciale dans le fait que nombre de ses consommateurs sont issus des communautés noires et immigrées aux Etats-Unis. En septembre 2018, Nike avait d’ailleurs choisi comme égérie de sa nouvelle campagne, le footballeur américain Colin Kaepernick. Le même qui avait mis un genou à terre pendant l’hymne national en guise de protestation contre les violences policières envers les populations noires. Ce qui avait déclenché illico des tweets furibards et indignés de Donald Trump et des controverses multiples mais sans affecter au final la réputation et le chiffre d’affaires de la marque.
Avant de s’impliquer dans une cause, il s’agit de se poser au préalable les vraies bonnes questions comme d’abord identifier les thématiques où la marque est légitime pour prendre la parole. Ensuite, l’objectif ne doit surtout pas relever de l’action, qui fait parler mais qui n’a pas de lendemain concret. Si engagement il y a, alors il est indispensable d’y mettre les moyens et d’agir sur le long terme pour faire avancer une cause. Dans le cas contraire, cela sera perçu comme une nouvelle forme de lavage de cerveau au même titre que
ces marques qui s’enorgueillissaient de vertus écologiques tandis qu’elles ne modifiaient guère leurs pratiques au quotidien
. Engagez-vous mais de façon concrète, avec sincérité et écoute, même si tout ne sera pas forcément parfait. La sincérité est le meilleur gage de crédibilité.
Olivier Cimelière est directeur adjoint ESJ Pro Entreprise
@olivcim