Notre tailleur de demain sera-t-il Amazon ? En décembre, le géant américain a lancé aux Etats-Unis un service de fabrication de tee-shirts personnalisés, baptisé « Made for you ». Le système requiert la taille, le poids, la silhouette et deux photos. Charge ensuite au consommateur de définir la coupe, la forme du col ou la longueur des manches et d’apposer ou pas un texte. On peut juger du résultat sur un double virtuel et acheter sa création pour 25 dollars. La personnalisation des objets et des contenus est une tendance de fond de notre environnement. Au fur et à mesure que notre monde se numérise, le phénomène se généralise.
Les précurseurs
Des sociétés comme Functions of Beauty, Prose, Mon Shampoing ou Juste Paris proposent des shampoings et après-shampoings personnalisés sur la base d’informations renseignées par le client (type de cheveux, objectifs visés, ajout d’un parfum etc.). Pour le consommateur, c’est la promesse d’acheter un produit adapté sans chercher parmi des centaines de références. « La personnalisation permet aussi une consommation plus raisonnée. L’industrie cosmétique fonctionne avec beaucoup de stocks et génère des invendus. Avec la personnalisation, on s’affranchit de ce gaspillage puisque l’on fabrique à la commande. L’impact est important pour l’environnement », explique Benjamin Garzillo, le fondateur de Juste Paris.
Duolab, une start-up de l’Occitane, vend en Grande-Bretagne une machine pour fabriquer sa crème de visage à domicile. Sa composition évolue en fonction de votre diagnostic cutané. En novembre, L’Oréal va commercialiser en France Perso, un appareil connecté, qui fabriquera un rouge à lèvres sur mesure Yves Saint Laurent. A terme, le groupe entend aussi utiliser sa technologie Perso pour les soins de la peau et le fond de teint. Dans sa boutique des Champs-Elysées, Lancôme réalise déjà des fonds de teint personnalisés, après un scan de la peau à trois endroits du visage. La fabrication prend 20 minutes. Voilà deux ans, L’Oréal avait également présenté My Little Factory, une usine miniaturisée capable de fabriquer des produits à la demande.
Démocratisation
Mais il n’y a pas que la beauté. L’américain Pluto propose de spécifier votre matelas en fonction de votre corps et de vos habitudes de sommeil. Sur l’app Nike, la fonction Nike by You permet de personnaliser une soixantaine de chaussures. On choisit d’un clic la couleur du coussin d’air, des lacets ou de la doublure. Et on décide ou pas d’apposer ses initiales sur le modèle.
L’automobile a été précurseure en la matière. Limitée au luxe, l’idée s’est démocratisée avec le lancement de modèles comme la Mini, la Fiat 500, la DS3 ou l’Opel Adam. En plus du moteur et des équipements, on a permis au client de décorer le capot, de spécifier le toit, les rétroviseurs, la planche de bord, le pommeau de vitesse, d’ajouter un ciel étoilé à l’intérieur…
Les industriels de l’alimentation et des boissons ont repris le concept en jouant sur l’emballage. Pour immortaliser un événement, Evian offre depuis 2010 un service de personnalisation de ses bouteilles par gravure laser. M & M’s propose d’apposer un texte ou une photo sur ses confiseries, Lutti de décorer votre boîte de bonbons avec photo et déco dédiées. En 2013-2014, Coca-Cola a relancé ses ventes en y apposant des prénoms et depuis janvier, le groupe propose aux Belges de personnaliser leurs canettes avec leurs résolutions de début d’année.
De nouveaux territoires de conquête
Aujourd’hui, la personnalisation fait des incursions dans des secteurs comme le logement. HABX permet aux futurs propriétaires d’un logement neuf de spécifier leur habitat via des outils de configuration 3D installés chez des promoteurs comme Vinci ou Icade. Pour un même logement, la société propose de 9 à 16 plans alternatifs à celui de l’architecte. « On peut supprimer une chambre, créer un dressing ou agrandir la suite parentale, puis on choisit des options (douche ou baignoire, cuisine ouverte) et des finitions (type de faïence, de parquet) », explique Benjamin Delaux, le dirigeant de HABX.
Mais l’exemple ultime en matière de personnalisation est sans doute le médicament. Ces dernières années, les progrès en matière d’immunologie ont permis à l’industrie pharmaceutique de développer des traitements individualisés du cancer consistant à reprogrammer les globules blancs d’un patient pour qu’ils détruisent ses cellules cancéreuses (Yescarta de Gilead, Kymriah de Novartis). Le phénomène a néanmoins ses limites. Un traitement individualisé pour soigner une leucémie ou un cancer du système lymphatique coûte plus de 300.000 euros l’injection.
De la personnalisation au « profiling »
La personnalisation du monde bouleverse aussi les contenus. Dans l’édition, des sociétés comme Pen Wizard, Librio, Mumablue ou Wonderbly, fabriquent des livres personnalisés pour enfants intégrant le nom de l’enfant et son sexe. Chez Wonderbly on peut choisir trois valeurs morales sur lesquelles l’histoire va mettre l’accent (curiosité, bravoure, respect etc.) ou corréler le choix des personnages rencontrés aux lettres du prénom de l’enfant. Les parents voient dans ces outils le moyen d’amener les enfants à la lecture.
Mais la personnalisation s’applique aussi aux adultes. Amazon propose des livres en fonction de vos choix antérieurs ou des clients qui vous ressemblent. Une recherche sur Internet donne des résultats différents selon vos centres d’intérêt, votre localisation ou vos opinions politiques. Même chose pour les publicités qui s’affichent sur votre ordinateur. Le dimanche soir, les foyers français ne se réunissent plus devant le film de TF1 car chacun regarde sa série.
Dans le numérique, la personnalisation date presque de la préhistoire d’Internet. Sauf qu’elle a évolué vers du « profiling ». « Dans le premier cas, vous faites part à la machine de vos préférences. Dans le deuxième, on vous propose une définition de vous-même, calculée par un algorithme sur la base de votre comportement passé », explique Bruno Patino, patron d’Arte France et auteur de « La Civilisation du poisson rouge ». Ce « profiling » suscite de plus en plus de réticences de la part des citoyens et des législateurs. Dans le débat public, la notion de traçabilité a perdu du terrain au profit d’un « capitalisme de surveillance », dénoncé notamment par l’universitaire américaine Shoshana Zuboff.
Des impacts très différents
Quel sera l’impact de la personnalisation des contenus et des objets à terme ? Pour les produits, trois idées se dégagent. Personnaliser un vêtement, une voiture tend à accroître l’attachement du consommateur au produit et donc sa durabilité. Ce sera peut-être un moyen de réduire la surconsommation.
Mais le champ d’application a aussi des limites. Choisir, c’est difficile. Personnaliser tous ses produits du quotidien imposera vite une charge mentale trop forte aux individus. Nike a testé la personnalisation dès 1999. Mais dans les faits, l’offre pléthorique de sneakers et les éditions limitées ont permis de répondre aux besoins de différenciation des clients. Qui plus est, certains clients feront plus confiance à Nike qu’à eux-mêmes pour gérer l’assortiment de couleurs qui va bien.
Fabriquer à la commande permettra-t-il de relocaliser des usines en Europe ? Ce n’est pas évident. La digitalisation et la robotisation ont également permis aux grands sites asiatiques de gagner en flexibilité. En témoigne l’abandon par Adidas des Speedfactories, ces mini-usines automatisées installées en Europe et aux Etats-Unis.
Les trois leviers de la personnalisation
La digitalisation et la robotisation ont permis aux grands systèmes de production de gagner en flexibilité. Le numérique a donné la possibilité aux industriels d’entrer directement en contact avec leurs clients. Les données disséminées par les internautes permettent de déterminer leurs profils, de prévoir et d’influencer leurs comportements.
La personnalisation des contenus a plus de conséquences. Elle diminue mécaniquement le nombre de grands repères générationnels, comme « Dallas », les films « Les Bronzés » ou les pubs qui ont servi de base aux sketches de Coluche ou des Nuls.
Elle accentue ensuite les différences de perception du monde. Du fait de leurs modèles d’affaires, les réseaux sociaux ont personnalisé leurs contenus afin de maximiser le temps de connexion des utilisateurs. Ces flux personnalisés ont tendance à créer des « réalités divergentes », qui fragilisent les systèmes démocratiques. « Nous nous sentons tellement en sécurité dans nos bulles que nous n’acceptons que les informations, vraies ou fausses, qui valident nos opinions », déplorait Barack Obama dans son discours d’adieu en 2017.
Reste que l’être humain est un animal grégaire. Le bonheur de chaque individu résulte d’un équilibre réussi entre le besoin d’affirmation de soi et le désir d’appartenance au groupe. A cet égard, la page d’accueil de Netflix est emblématique. Elle ne propose pas seulement des programmes qui correspondent à vos goûts. Elle indique aussi les séries les plus regardées dans votre pays. On a beau se vouloir différent des autres, force est de constater qu’on s’ennuie rapidement avec soi-même.
Solidarité avec les entrepreneurs
Dans cette période difficile, les entrepreneurs et dirigeants de TPE-PME ont plus que jamais besoin d’être accompagnés. Le site Les Echos Entrepreneurs apporte sa contribution en proposant informations et témoignages gratuitement pour les prochaines semaines. Pour rester informés de l’actualité entrepreneurs et startups, pensez à vous abonner à notre
newsletter quotidienne et/ou à la
newsletter hebdomadaire Adieu la crise !