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comment les géants de la tech évangélisent les PME françaises, Numérique-Cybersécurité

comment les géants de la tech évangélisent les PME françaises, Numérique-Cybersécurité

Tous les jours depuis que la France s’est reconfinée, Google propose quatre webinaires gratuits et ouverts à tous. « La plupart des contenus s’adressent aux petites et moyennes entreprises », souligne Anne-Sophie Le Bras, responsable de ces Ateliers Numériques. En ces temps de Covid-19, la firme de Mountain View veut être à leur chevet. « Notre mission est de vous aider à acquérir les compétences numériques. Nous sommes là pour vous ! N’hésitez pas à vous abonner à notre chaîne YouTube si vous souhaitez revoir cette vidéo », prêche Chloé, queue de cheval et lèvres vermillon, qui ce lundi 2 novembre anime une session « comment installer le click and collect dans votre boutique ».

Pour les petits commerçants, il y a urgence. A un mois des fêtes, Internet est leur seule planche de salut pour maintenir un flux d’activité ou élargir leur zone de chalandise au-delà du kilomètre autorisé, alors que les contacts physiques sont prohibés. Comme d’innombrables TPE-PME, ils accusent un net retard en matière de digitalisation : une TPE sur trois seulement est numérisée, contre deux sur trois en Allemagne.

Comme Google, Facebook, Amazon et Microsoft sont sur la brèche.

Depuis longtemps, ces champions américains cherchaient à convaincre les TPE-PME tricolores de plonger dans le bain de la numérisation. Et en particulier de digitaliser le maillon clé de la relation avec les clients.

Facebook décroche la CPME, Google les unions de commerçants

La crise sanitaire et ses confinements leur offrent une occasion en or pour enfin les convertir. En novembre, des partenariats inimaginables il y a encore quelques mois, se sont multipliés : Google et la Fédération française des associations de commerçants (FFAC), qui représente 6.000 unions commerciales. Facebook et la CPME, organisation patronale phare des petites entreprises avec 150.000 adhérents…

« Google était la société la plus évidente pour accélérer », affirme Lionel Saugues, vice-président de la FFAC, tandis que François Asselin, à la tête de la CPME, justifie le choix de Facebook en rappelant que non seulement c’est « l’application la plus présente sur les smartphones des Français », mais qu’en plus « la société n’a pas d’entrepôts… ». « C’est le moyen le plus efficace et le plus rapide pour aider nos entreprises à se numériser. Et en plus, cela ne coûte rien », ajoute-t-il.

Chaque géant de la tech est allé à l’offensive en misant sur son identité propre : Google et son moteur de recherche ; Facebook et son réseau social assorti d’une constellation d’applications de communication (WhatsApp, Instagram) ; Microsoft et ses solutions de travail collaboratif (outils de visioconférence, de télétravail). Enfin, Amazon et sa « marketplace ».

Coaching personnalisé

Auréolés de leur savoir-faire et de leur puissance, tous proposent des sessions en ligne afin d’initier les petits patrons à la panoplie de base pour être présent sur la Toile. Au menu : créer un site Internet, attirer une audience et tisser des relations, être visible sur le Web

Chez Google, 50 conseillers prennent le relais avec un coaching personnalisé. Et ils sont « plus de 300 chargés de compte chez Amazon », assure Patrick Labarre, directeur de la marketplace Amazon France, qui accueille plus de 11.000 sociétés tricolores.

Enfin, les gestes commerciaux sont devenus la règle. Facebook offre des crédits publicitaires sur ses plateformes, Microsoft des accès gratuits à son cloud. Et, aujourd’hui, c’est au roi de l’e-commerce Amazon de poursuivre sa conquête des PME avec trois mois d’abonnement gratuit à ses services, au lieu des 39 euros mensuels, et un crédit de 200 euros pour faire de la promotion !

Tous affichent des objectifs ambitieux. Google veut former chaque année 50.000 TPE-PME tricolores, Microsoft espère en aider deux fois plus en cinq ans grâce à son initiative Ma PME Numérique, qui embarque des acteurs tels Solocal, le moteur de recherche Qwant, le créateur de boutique en ligne PrestaShop ou LinkedIn pour mener cette transformation.

A les entendre, leur offre de services depuis le début de la crise sanitaire a séduit. « Nous avons formé 30.000 PME », clame le moteur de recherche. « Plus de 7.000 personnes ont assisté à l’une des 71 formations accessibles sur Facebook depuis le 23 juin », renchérit Matthieu Laporte, directeur des activités TPE-PME en France du groupe de Mark Zuckerberg.

Nombreuses sont les petites sociétés qui ont trouvé avec la numérisation une bouée de sauvetage. Ainsi, pour Véronique McKay, créatrice de bijoux, la mise en place d’une page Facebook Pro et l’initiation au marketing digital proposée par le réseau social lors du premier confinement ont permis d’éviter la fermeture de son entreprise Manò Factò. Même si sa boutique installée à Oingt, petit village classé du Beaujolais, a, elle, baissé le rideau. « Heureusement, j’avais les e-mails de 2.000 clients ! » s’exclame-t-elle

Les CCI entrouvrent la porte

Cela fait des années en réalité que les géants du Net mènent des opérations de séduction vis-à-vis des TPE et PME françaises. Google a lancé en 2012 ce chantier avec des Ateliers Numériques en présentiel dans quatre métropoles – Rennes, Montpellier, Saint-Etienne et Nancy. Plus de 500.000 chefs d’entreprise et personnes ont ainsi été formés, assure-t-il.

Pour aller plus loin après le déconfinement de mai dernier et toucher les plus petites communes telles que Charleville-Mézières, dans les Ardennes, le groupe californien a envoyé quatre minivans sillonner l’Hexagone. De son côté, Facebook mise sur les institutionnels (offices du tourisme, communautés de communes, etc. ) et a noué une relation particulière avec les Hauts-de-France. Enfin, « Microsoft investit depuis deux ans en région pour accroître sa proximité », indique Thomas Coustenoble, directeur des TPE-PME en France.

Tous ont cherché des accords avec des acteurs locaux. En particulier, les chambres de commerce et d’industrie (CCI), interlocutrices naturelles des petits patrons. En 2018 et 2019, Amazon a ainsi organisé un Amazon Tour avec elles pour promouvoir sa marketplace.

Aujourd’hui, Microsoft a des contrats avec quatre d’entre elles, Quant à Google, il revendique une trentaine de partenariats. « Ses formations sont gratuites et bien adaptées aux besoins des petites structures », observe le conseiller d’une des CCI utilisant les services de la firme californienne. « Et puis, pour un petit patron, c’est gratifiant. A chaque séance, on fait le plein ! », ajoute-t-il.

Le président de CCI France, qui rassemble toutes les chambres de commerce, en convient : « Nos entreprises nous demandent souvent des informations sur les outils proposés par Google et Facebook. Mais nous n’avons pas d’accord national avec eux. » Au contraire, Pierre Goguet veille à ce que les Gafam ne soient que des intervenants parmi d’autres et préfère valoriser les acteurs locaux. « Et, insiste-t-il, nous n’avons plus de contacts avec Amazon. »

Revenus publicitaires et gains d’image

Pour les géants de la Toile, cette démarche est bien sûr tout sauf philanthropique. S’ils se montrent si pressés d’aider les PME françaises, c’est qu’en retour ils peuvent les former à leurs outils – gratuits et payants –, et, ainsi, augmenter leur trafic et leurs revenus publicitaires. « Ils accumulent en plus quantité de données », relève Olivier Danniau chez Sortlist, spécialiste du marketing digital. Ce qui leur permet de renforcer le poids de leur plateforme.

Au delà, ils espèrent modifier leur image à l’heure où ils sont attaqués de toutes parts pour leurs pratiques d’optimisation fiscale… Un enjeu particulièrement important pour Amazon, accusé, en plus, par les petits commerçants de profiter de la crise et par Bruxelles d’exercer une « concurrence déloyale » . « C’est un autre combat ! L’accord avec Facebook ne m’empêchera pas de le poursuivre », tempère le président de la CPME, François Asselin.

Mais tout le monde n’est pas prêt à accepter les offres de services des firmes américaines. C’est le cas de Joël Fourny. A la tête de l’Association des chambres de métiers et de l’artisanat, il s’oppose à toute action commune avec elles. « L’artisanat est un secteur reconnu pour son savoir-faire. Les chambres de métiers doivent conserver la maîtrise de la formation qu’elles dispensent à leurs membres. C’est une question de principe », plaide-t-il.

Dilemme

Dans la période actuelle, les petites structures sont confrontées à un dilemme : « Dans l’urgence, ont-elles intérêt à se tourner vers les gros acteurs, au risque de se retrouver enfermées dans leur écosystème. Ou bien, doivent-elles chercher à maîtriser leur destin en privilégiant les plateformes lancées par les collectivités locales ? » résume Philippe Goetzmann, consultant en grande distribution.

Pour le secrétaire d’Etat chargé de la Transition numérique Cédric O., « toutes les initiatives qui permettent d’accélérer la numérisation des PME et TPE françaises sont bienvenues. A condition que ces dernières ne se retrouvent pas dans une relation de dépendance vis-à-vis des groupes américains ». ll ajoute que « les Gafa ne sont pour l’instant que sur une petite partie de l’activité des PME. Ils ne s’occupent pas de la digitalisation des process de production ou de facturation ».

Changer d’organisation

Sur le fond, une autre question se pose. Les petits chefs d’entreprise parviendront-ils à adopter les outils digitaux et à en tirer un réel profit ? Le numérique suppose de faire évoluer son organisation. Il faut y consacrer du temps : prendre des photos de ses produits, assurer la manutention pour envoyer la marchandise ….

En 2019, Florent Katchikian, PDG de Racer Gloves, le fabricant presque centenaire de gants de sport, a créé sa boutique en ligne et installé l’outil Teams de Microsoft pour déployer le télétravail. « Il faut prévoir un certain budget et c’est assez lourd à mettre en place car cela change la façon de travailler », confie-t-il. Mais il ne le regrette pas : lorsque le confinement est arrivé, ses 25 salariés étaient déjà rodés.

Le président de la CPME Ile-de-France, Bernard Cohen-Hadad, pointe un autre problème : celui de sécurité des données. « Dès lors qu’on a une vitrine sur le Web, on s’expose aux pirates et aux risques d’usurpation d’identité ou de détournement de clientèle », déplore-t-il.

Enfin, comme l’observe Laurent Fiard, président du Medef Lyon-Rhône, rares sont les petites structures à respecter le RGPD – qui oblige à avoir l’accord des clients pour conserver leurs données.

« Le vrai sujet, c’est qu’un patron de PME ne connaît pas grand-chose à toutes ces questions », observe Sophie Garcia, son homologue pour l’Occitanie, qui juge la période propice à faire bouger les choses. François Asselin préfère d’ailleurs regarder le verre à moitié plein. « Le numérique est un moyen complémentaire de réaliser du chiffre d’affaires », dit-il, avant d’ajouter : « Les PME françaises ont besoin d’écrire une nouvelle histoire avec leurs clients. Et les réseaux sociaux le permettent. »

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