Menu

« L’heure n’est plus au patron héroïque qui sait tout », Gouvernance

« L'heure n'est plus au patron héroïque qui sait tout », Gouvernance

Qu’est-ce que la crise va changer pour les PDG ?

Cette crise du Covid-19 va accélérer les transformations qui étaient déjà en cours. Conséquence directe ? Nous attendons encore plus des leaders. La barre sera placée encore plus haut. Nous leur demanderons non seulement qu’ils rendent les entreprises qu’ils dirigent plus performantes, mais aussi qu’ils poursuivent aussi leur transformation en profondeur . Le leader d’aujourd’hui doit apprendre à naviguer dans un océan de complexité. Il a pour mission de donner un cap à son entreprise en l’inscrivant dans la société.

Quel est le profil du « bon » patron ?

L’heure n’est plus au patron héroïque qui sait tout. Un leader qui navigue dans l’incertitude et la complexité se trompe s’il pense qu’il pourra régler, seul, tous les problèmes auxquels il sera confronté. Le meilleur leader aujourd’hui est celui qui pose les bonnes questions et qui sait bien s’entourer pour tenter d’y répondre le mieux possible. Il inclut et stimule une constellation de talents, à tous les étages de l’organisation. Les bonnes idées peuvent venir de partout, et il doit de plus en plus savoir faire confiance et créer les conditions de ce jeu collectif. Le talent des collaborateurs les plus directs ne suffit pas toujours quand, sans cesse, de nouveaux défis à relever apparaissent.

Trop souvent, un leader et sa garde rapprochée manquent de temps pour y faire face. Plus que des grands coups audacieux mais risqués, le leader d’aujourd’hui doit faire preuve d’agilité . Plus que l’âge ou l’expérience accumulée, ce qui fait la différence, c’est le potentiel d’un dirigeant. Et pour cela, les meilleurs leaders se démarquent par leur esprit de curiosité et d’ouverture. A titre personnel ou pour leur organisation, ils interrogent leur entourage et eux-mêmes pour élargir le champ des possibles. Une bonne question à se poser quand on cherche à recruter un leader est : « Où peut-il, ou peut-elle, emmener cette entreprise dans cinq ans ? »

De nos jours, à quelles principales difficultés se heurte un dirigeant ?

Les meilleurs dirigeants sont honnêtes et authentiques. Ils trouvent le juste équilibre entre la confiance en soi et le questionnement, entre le savoir et l’apprentissage, voire le désapprentissage. Il faut reconnaître qu’une entreprise peut avoir des faiblesses, des points de vulnérabilité, qu’un patron n’est pas parfait, et qu’il ne peut pas avoir réponse à tout. Prendre des décisions, c’est accepter certains compromis. C’est aussi incarner une vision et faire naître des aspirations, donner de l’énergie. Tout l’enjeu est de savoir avancer sur cette subtile ligne de crête.

Comment évaluer la performance des dirigeants pendant cette crise ?

Le spectre des performances est forcément très large tant il y a eu de situations différentes. Il faut tenir compte des contextes politiques, économiques et sociaux des différents pays. Certains, par choix ou par nécessité, ont dû demander ou accepter des aides publiques, ce qui limitera peut-être leur marge de manoeuvre dans les mois qui viennent.

Dans ce genre de situation, ce qui aide, c’est de rester cohérent. Il faut savoir agir dans l’urgence, sans remettre en cause la vision et le positionnement à long terme. Dans une crise aussi soudaine et profonde, le danger est de devenir un simple gestionnaire de risques, alors que l’audace et une dose d’optimisme sont nécessaires.

Quel avenir entrevoyez-vous pour les patrons des secteurs les plus exposés à la violence de la crise sanitaire ?

Dans le secteur automobile ou pétrolier, la situation était déjà très complexe avant la crise du Covid-19 : il fallait gérer la transition énergétique, faire face aux fluctuations du prix du pétrole, à la montée en puissance de la voiture électrique, à l’essor de nouvelles formes de mobilité, aux enjeux sociaux et environnementaux… A cela, il a fallu rajouter la crise sanitaire et économique. Certains dirigeants ont prouvé qu’ils pouvaient, dans un tel contexte, élever leur niveau de jeu. Mais la clef, avant comme après, reste la capacité de transformation de l’organisation comme l’adaptation du leader.

Dans le secteur de la santé, par exemple, les leaders ont prouvé au cours de cette crise qu’ils pouvaient travailler ensemble dans un esprit collaboratif pour mettre au point des tests et des vaccins, tout en restant des concurrents. C’est avec ce type d’attitude que des dirigeants peuvent devenir des sources d’inspiration, des modèles pour les autres. Leur engagement va souvent au-delà de la simple performance économique. Un leader aujourd’hui, même en temps de crise, doit pouvoir s’engager en faveur de la diversité, y compris sociale et ethnique, de l’écologie et plus généralement sur la contribution sociétale.

Quelle perception les marchés financiers ont-ils des dirigeants engagés ?

Raison d’être , engagement social et environnemental … Les investisseurs posent de plus en plus de questions sur ce front aux PDG comme aux directeurs financiers. Ils attendent des réponses de plus en plus convaincantes sur ces sujets. Dans le contexte de crise, certains seront peut-être tentés de mettre entre parenthèses cet engagement, d’autres demanderont probablement un peu plus de temps pour atteindre leurs objectifs.

Cela sera forcément plus dur en période de crise, mais les dirigeants savent que s’ils ne s’engagent pas, ils ne seront pas en mesure de gagner la guerre des talents, notamment auprès des jeunes générations, qui demandent que leur travail et leur entreprise aient un sens.

D’autant qu’ils se savent impopulaires…

Le manque de confiance dans les élites ne concerne pas que les dirigeants d’entreprise. Les personnalités politiques sont également questionnées. Le monde est devenu plus complexe et un patron qui donne l’impression qu’il peut, seul, avoir la réponse à toutes les questions apparaît vite comme quelqu’un d’arrogant. Et cela intervient dans un contexte de montée croissante des inégalités et de remise en cause des rémunérations élevées.

Les Millennials ne recherchent pas un leader à la poigne de fer qui ne doute de rien et qui veut tout contrôler. Ils veulent des leaders qui reconnaissent qu’il n’y a pas de réponses simples à des questions complexes. Ils recherchent un management porté par les valeurs d’intuition, d’émotion, de compassion… In fine, beaucoup de valeurs féminines. Il faudrait clairement plus de femmes au plus haut niveau des entreprises.

A qui la faute ?

La responsabilité est partagée. Il faut que les mentalités évoluent à la tête des entreprises. Les PDG, mais aussi les conseils d’administration sont trop monolithiques. Quand tout le monde se ressemble au sein d’un conseil, la tendance naturelle est de choisir, par voie interne le plus souvent, mais aussi externe, quelqu’un du même profil pour diriger. Il faut commencer par inclure plus de diversité dans les conseils.

Plus de femmes, plus de jeunes générations de diverses origines sociales, plus de personnes venant de la société civile ou des organisations non-gouvernementales. Il faut donner leur chance à d’autres profils, d’autres attitudes pour faire aussi émerger d’autres modèles qui donnent envie à des managers plus jeunes, hommes ou femmes, de grimper les échelons. Il y a aujourd’hui des managers de talent qui ne veulent pas devenir dirigeants, car les dirigeants qu’ils ont vus à l’oeuvre ne les inspirent pas.

Les conseils d’administration jouent-ils leur rôle ?

Un conseil d’administration n’est pas là pour s’assurer simplement du respect des bonnes règles de gouvernance. Il est là pour poser les bonnes questions. A la limite, un conseil peut se comporter comme un investisseur activiste, mais constructif, qui pose les questions qui dérangent. Un conseil doit aussi aider le dirigeant à trouver le bon équilibre entre la gestion de la performance à court terme et le développement de l’entreprise à long terme. Il doit aider un leader coureur de sprint à courir un marathon.

Pensez-vous que le télétravail va devenir la norme dans les entreprises ?

La norme, non ; mais je ne pense pas non plus que nous allons revenir totalement en arrière et que nous travaillerons demain comme nous travaillions hier. Les dirigeants n’ont pas forcément hâte de reprendre l’avion comme avant, et les salariés ne sont pas pressés de revenir tous les jours au bureau. Je crois que nous allons vers un modèle hybride , moins uniforme. Le bureau conservera son utilité, mais il doit se réinventer. On se retrouvera au bureau pour travailler en équipe dans des espaces qui favorisent les collaborations. Et cela vaut pour tous les niveaux hiérarchiques, des collaborateurs jusqu’au comité exécutif.

Compte tenu de tout ce qui vient d’être dit, votre métier évolue-t-il à un rythme suffisant ?

Nous étions perçus comme des groupes spécialisés dans la recherche. Avec l’émergence de LinkedIn et le développement du digital, l’information s’avère beaucoup plus facilement disponible. Notre métier ne consiste plus à trouver une personne, mais à trouver la bonne personne en comprenant quelles sont ses aspirations et quel est son potentiel. Dans « Sapiens », Yuval Noah Harari le dit, « la seule manière de survivre dans le monde d’aujourd’hui, c’est d’être conscient que votre valeur dépendra de votre capacité à apporter plus qu’un algorithme ». A nous d’apporter ce sens en trouvant de bons candidats et en les aidant ensuite à établir un dialogue permanent avec leur conseil d’administration, leur comité exécutif et leur entreprise. Notre mission ne s’arrête pas le jour où une entreprise retient notre candidat.

Aujourd’hui, 30 % de notre activité est liée au conseil, à l’accompagnement et au coaching des dirigeants et de leurs équipes. Cette part est amenée à progresser dans le temps. Notre mission est certes de trouver les talents, mais aussi de les accompagner et les développer. Pendant la crise, nous avons ainsi assisté des dirigeants en les mettant en relation avec leurs pairs, d’autres dirigeants qui ont été confrontés en amont à la réalité de la crise sanitaire et qui ont pu utilement partager leurs expériences. Chez Egon Zehnder, nous croyons qu’il est possible de conjuguer performance, responsabilité et humanisme et c’est l’esprit avec lequel nous exerçons notre métier.

Son parcours

 

Présidente d’Egon Zehnder depuis novembre 2018, Jill Ader a, au cours de la dernière décennie, occupé plusieurs postes de direction au niveau mondial. Elle a notamment dirigé le bureau de Londres et mis en place la practice de PDG et celle des consommateurs à destination des entreprises du secteur de la consommation. Jill Ader est la première présidente du Top 3 des sociétés d’Executive Search au plan mondial.

Arrivée chez Egon Zehnder en 1996 à Londres, cette titulaire d’un MBA de la London Business School, avait auparavant travaillé chez Kingfisher Group, en conseil en stratégie et en capital-risque.

Son actualité

 

Fondatrice des programmes « Executive Breakthrough Program » et « Discovery Program for CEOs », proposés par Egon Zehnder en partenariat avec Mobius Executive Leadership, un des leaders du coaching de dirigeants au plan international, Jill Ader a vivement encouragé, au plus fort de la crise du Covid-19, l’animation par Egon de vidéoconférences avec plus de 1.200 top executives, avec l’idée d’accompagner ces dirigeants en cette période de turbulence et de leur permettre de partager leurs expériences entre eux.

 

Related Posts

LEAVE A COMMENT

Make sure you enter the(*) required information where indicated. HTML code is not allowed

CAPTCHA ImageChange Image